mardi 15 avril 2008

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Flambée des prix agricoles et émeutes : quelques explications - 1

Commençons par un chiffre : 100 millions. C’est, selon un haut responsable de la Banque mondiale, le nombre de personnes à faibles revenus dans le monde qui risqueraient de plonger dans la pauvreté en raison du doublement des prix des denrées alimentaires sur la période 2005-2007.

Poursuivons ensuite par un petit tour du monde des émeutes liées à la hausse des prix des denrées alimentaires : en 2007, le Mexique et le Maroc tiraient la sonnette d’alarme. En 2008, des populations entières dans les continents africain et asiatique crient famine. Selon la FAO (Agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), les pays les plus touchés sont les suivants :

  • Afrique : Burundi, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Erythrée, Ethiopie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Kenya, Lesotho, Liberia, Mauritanie,Ouganda, République démocratique du Congo, République du Congo,Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland, Tchad et Zimbabwe.
  • Asie : Afghanistan, Bangladesh, Corée du Nord, Indonésie, Irak, Népal, Pakistan, Sri Lanka et Timor-Oriental.
  • Amérique latine : Bolivie, Haïti, Nicaragua et République dominicaine.
  • Europe : Moldavie et Tchétchénie (Fédération de Russie).

En tout, une bonne trentaine de pays connaissent des troubles politiques et sociaux liés à l’augmentation des prix, augmentation qui se répercute sur d’autres denrées comme le savon, le lait et la viande.

Certains, comme Ali Benyahia pour le journal El Watan, parlent d’une inflation de pauvreté. D’autres, comme Eric le Boucher pour Le Monde, parlent d’un “retour des ventres creux“. Partout, on évoque “la vie chère“, conséquence de l’explosion des prix alimentaires (près de 40% en 2007) sous l’effet de la hausse générale des matières premières agricoles… alors que les revenus des populations pauvres n’ont pas progressé autant. En deux ans, le cours du blé, du maïs, du riz, du soja, du colza et l’huile de palme ont doublé, voire triplé.

Insécurité alimentaire : une situation d’urgence

En octobre 2007 pourtant, le directeur de la FAO, Jacques Diouf, avait déjà mis en garde - et prophétisé - ces “émeutes de la faim”… désormais devenues réalité. La situation est tellement inquiétante que Bob Zoellick, le président de la Banque Mondiale, a appelé d’urgence, mercredi 2 avril, à un “New Deal” alimentaire, une nouvelle politique alimentaire mondiale.

L’ONU aussi se prépare au pire : dans une note interne dont le journal le Monde a obtenu une copie, on reconnaît “la possibilité que l’ensemble du système d’aide alimentaire d’urgence soit incapable de faire face” et l’on préconise des “plans d’urgence spécifiques pour répondre aux besoins des populations urbaines”, jusque-là peu touchées par la malnutrition.

Diouf FAO

AFP/GIULIO NAPOLITANO Le directeur général de la FAO, Jacques Diouf.

On ne parle plus de hausse des prix passagère, mais structurelle, si bien que des millions de personnes seront, encore plus qu’avant, plongées dans l’insécurité alimentaire. Le Fonds International de Développement Agricole (FIDA, dépendant de l’ONU) a estimé que pour chaque augmentation de 1% du prix des denrées de base, 16 millions de personnes supplémentaires sont plongées dans l’insécurité alimentaire.

Au final, “2 milliard d’êtres humains pourraient avoir chroniquement faim d’ici à 2025 ; 600 millions de plus que précédemment anticipé”. Il sera délicat d’intervenir pour les interventions humanitaires, elle-même touchées au niveau de leurs approvisionnement par la hausse des prix des denrées (les dons en nature sont en baisse et elles doivent elles-même acheter les denrées) : les périodes d’agitation et d’instabilité entraîneront des choix difficiles en termes de ciblage et de distribution.

Sont cités comme étant particulièrement vulnérables : l’Erythrée, la Sierra Leone, Madagascar, Haïti, la Géorgie, le Burundi ou le Zimbabwe.

Pauvreté et biens de première nécessité

En économie, les produits de première nécessité sont connus pour avoir une “élasticité prix” nulle : bien que le prix d’une denrée augmente, la consommation de cette denrée se maintient car il existe peu de produits de substitution (à l’inverse, lorsque le prix baisse, la demande n’augmente pas nécessairement), la demande n’est pas élastique au prix. Lors d’une hausse des prix, s’il n’existe pas de produit de substitution (exemple : les pâtes remplacées par le riz ou la pomme-de-terre), l’effet s’accroît.

On parle même, dans de rares cas, de biens de Giffen
- du nom de Robert Giffen qui, observant le comportement des Irlandais à la suite d’une hausse du prix des pommes de terre constata que le pouvoir d’achat des gens les plus modestes diminuait en même temps que le prix des pommes de terre augmentait. Leur consommation s’en trouvait affectée : ils consommaient moins d’autres types de biens et plus de pommes de terre, car cela restait tout de même le bien le moins cher.

Le paradoxe observé par Giffen s’applique généralement à des foyers à faibles revenus (pour lesquels les biens de première nécessité représentent un pourcentage considérable du revenu) : le prix d’un bien A augmentant, ils ne peuvent y substituer le bien B relativement plus cher, même si son prix reste stable. Ils sont alors contraints de réduire leur consommation de bien B pour équilibrer leur budget et reporter cette consommation sur le bien A.

Ainsi, les populations touchées actuellement par la hausse des prix agricoles sont des populations particulièrement fragiles qui subissent un effet similaire. “Contrairement aux pays occidentaux où la part de l’alimentation dans les revenus des ménages atteint 10 % à 20 %, elle est de 60 % à 90 % dans les pays pauvres. L’augmentation des cours des céréales y est par conséquent plus sensible, surtout pour les urbains, qui ne produisent pas de denrées“, soulignaient Laetitia Clavreul et Alain Faujas dans un article du Monde le 5 avril dernier et intitulé “Matières premières agricoles : des hausses de prix explosives”.

Sécurité humaine : tout est lié…

Depuis une quinzaine d’années, le concept de sécurité humaine est utilisé par les institutions internationales sans pourtant être trop évoqué auprès du grand public. Cette notion relève d’une approche globale des besoins individuels et sociétaux : comme l’explique Marc Jeannotte pour l’UQUAM, elle reconnaît que “la stabilité durable, non seulement des États, mais également des sociétés qu’ils représentent, est impossible tant que la sécurité humaine n’est pas garantie. Elle fait référence à la fois aux droits des citoyens à vivre dans un environnement sécuritaire et à l’existence d’une activité politique, sociale, religieuse et économique au sein de chaque société à l’abri de violences organisées. En ciblant directement les individus, la sécurité humaine englobe la sécurité contre la privation économique, la quête pour un niveau de vie acceptable et une garantie d’assurer les droits humains fondamentaux, dont le droit à la liberté d’expression et d’association. Sa définition est aussi évolutive que les risques et les menaces auxquels le monde doit faire face“.

Sécurité humaine

Schéma extrait d’une étude de l’UNESCO sur les liens entre liberté de presse et développement, juin 2006 (pdf)

Cette approche peut être comparée, grosso modo, à la pyramide des besoins de Maslow, mais dans un premier temps seulement. Car la notion de sécurité humaine considère l’homme dans son environnement social et recouvre parallèlement les notions de sécurité économique, de sécurité alimentaire, de sécurité en terme de “santé”, de sécurité environnementale, de sécurité personnelle, et de sécurité politique et communautaire. En résumé, l’être humain doit être libre de toute crainte liée à sa sécurité, libre de tout besoin, et libre de vivre une vie digne.

Il faut surtout comprendre que tout est lié : dans certains pays, les émeutes liées à l’insécurité alimentaire vont accroître les tensions politiques, et c’est tout un système et état de faits qui risque d’être profondément remis en cause. L’ONU s’attend donc aussi à faire face à plusieurs durcissement de crises locales, “comme celles qui ont secoué l’Egypte, la Mauritanie, le Mexique, le Maroc, la Bolivie, le Pakistan, l’Indonésie, la Malaisie…” indique Philippe Bolopion dans le Monde du 12 avril 2008.

Bien plus encore, comme le rappelle l’hebdomadaire burkinabé San Finna, “vie chère rime avec galère, mais surtout misère pour les couches sociales les plus fragilisées (…) de plus en plus de personnes qui passent la journée sans manger, des enfants le ventre gonflé, chassés de l’école parce que les parents ne peuvent pas payer les frais de scolarité“.

Sans parler de la répression des gouvernements africains envers les violents mouvements sociaux et les émeutes. En Côte-d’ivoire, on dénombre deux morts qui auraient pu être évités. En février dernier au Cameroun, 40 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre et, selon le quotidien Cameroon Tribune, “729 personnes ont été à ce jour condamnées à des amendes ou à des peines de prison allant de trois mois à six ans”. Au Sénégal, “les premières émeutes de la faim du 31 mars ont été violemment réprimées ; on compte des dizaines d’arrestations dans le camp des marcheurs”, note le quotidien de Dakar Wal Fadjri.

Les états africains sont impuissants devant la menace inflationniste. En Côte d’ivoire, Laurent Gbagbo a pris quelques mesures d’urgence pour calmer les esprits mais affirme avec réalisme que “si la fièvre a baissé, la maladie n’est pas guérie“ : l’augmentation des prix mondiaux des produits alimentaires présente une menace significative pour la croissance, la paix et la sécurité en Afrique, ainsi que l’ont reconnus les ministres de l’Economie et des Finances des pays africains, réunis à Addis-Abeba les 28, 29 et 30 mars derniers.

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