Question importante entre toutes, l'Europe peut-elle devenir, malgré l'égoïsme de ses membres, une unité décisionnelle capable de prendre partie face aux autres puissances de la planète et surtout capable de faire le ménage dans sa propre courre. (JMR)
Philippe Herzog, président de Confrontations Europe, participe à la table-ronde de l'Université d'été du Medef, ce mercredi 27 août, intitulée: "L'Europe sera-t-elle une superpuissance ?"
L'Europe n'est pas une puissance géopolitique. Ni les principaux États européens ni l'Union en tant que telle ne sont capables de façonner la mondialisation - sauf pour la production de règles, mais avec des difficultés croissantes. L'Union doit se donner l'ambition de devenir un acteur politique global, donc acquérir la force d'initiative et d'action publiques qu'elle n'a pas aujourd'hui en raison de ses divisions et divergences internes.
Mais désigner le but comme "puissance" est très ambigu. Participer à un rapport de forces dans un monde multipolaire ne permettrait pas de réduire les tensions et de prévenir la guerre des capitalismes, alors que le type de croissance actuel de l'économie mondiale n'est pas soutenable. Le but est plutôt de devenir un acteur capable de contribuer à rendre le développement plus durable et plus équitable, viser la formation d'une société mondiale, être une force qui rapproche et qui unit.
Se donner les moyens exige un changement d'état d'esprit et de méthode. Et ceci quel que soit le débouché du traité de réforme institutionnelle, que j'espère positif, car il augmente la capacité d'action extérieure. La voie constitutionnelle s'est avérée une impasse. Le traité institutionnel achoppe sur le piège d'un référendum national absurde. Si chaque pays procédait par référendum, la probabilité d'un succès serait quasiment nulle.
Les citoyens confondent l'intérêt européen et l'intérêt national. Alors qu'il faut penser géopolitique, beaucoup ont peur de l'ouverture et des échanges. On n'a rien compris à l'élargissement, et l'on n'essaie même pas d'explorer l'intérêt que pourrait avoir l'entrée de la Turquie dans l'Union. Il est donc urgent de s'attaquer aux oeillères. Les politiciens n'en manquent pas non plus.
C'est le moment de changer d'optique : un renouvellement des institutions communautaires aura lieu en 2009. Si la campagne des élections européennes était européanisée, y compris avec des listes transfrontières, cela aiderait grandement à chercher à identifier l'intérêt européen. Il faut promouvoir systématiquement la dimension européenne dans l'éducation des citoyens et des jeunes. Et définir clairement les domaines où l'Union va devoir promouvoir des politiques publiques, après quoi concrétiser les objectifs et les moyens dans un plan d'action issu d'un processus interactif entre les collectivités nationales et l'Union.
Les dimensions internes et externes des politiques de l'Union doivent être désormais imbriquées. Il est en effet impossible de prétendre devenir un acteur global sans remettre en cause notre modèle social et économique. Ainsi en France nous vivons encore dans la culture des Trente glorieuses, alors que ce régime prend l'eau. Quand nos dirigeants prétendent que l'Europe doit protéger le modèle social, ils entretiennent des préjugés et des confusions. Il faut mobiliser les sociétés pour un effort de modernisation comparable à l'effort consenti après guerre, en visant l'élévation générale des compétences et un nouveau type de plein emploi.
Chaque Etat européen essaie, mais en ordre dispersé. L'Union doit devenir un catalyseur de ces changements. Sa méthode ouverte de coordination est bien trop faible. Elle devra mobiliser pour bâtir un marché européen du travail et de la formation, anticiper et gérer les mutations en coresponsabilité.
Le "social" devra s'inscrire dans une nouvelle perspective de développement. L'espace intérieur n'est pas assez dynamique et l'Union est passive sur la scène globale. Nous sommes empoisonnés par les conflits des champions et des capitalismes nationaux. Bref il faut bâtir une véritable union économique.
Et cela commence par la définition d'intérêts stratégiques communs dans les principaux domaines d'intérêt général : les compétences humaines pour l'innovation et l'activité ; l'énergie, l'industrie et les nouvelles technologies du développement durable. Dans ces domaines, l'Union doit être dotée de responsabilités d'intervention publique, établir la coopération avec les entreprises, les collectivités et les sociétés civiles. Ceci sera le soubassement d'une politique macroéconomique veillant particulièrement à la réalisation des investissements à long terme qui font aujourd'hui défaut.
Pour l'action extérieure, il faut redéfinir une doctrine du multilatéralisme, car la libéralisation n'ira plus sans des régulations ; et, d'autre part, l'Union doit s'engager dans des partenariats avec les autres régions du monde pour des investissements conjoints d'intérêt mutuel, et ne pas se contenter de prêcher la réciprocité pour l'accès aux marchés. Donc pas de catastrophisme ! Le volontarisme de Nicolas Sarkozy est utile mais ses effets ne peuvent être que limités. Il faut maintenant ouvrir en grand la perspective d'une Union comme acteur politique global, c'est-à-dire élaborer le sens, la méthode et l'agenda.
Philippe Herzog, président de Confrontations Europe