jeudi 28 août 2008

L'Amérique entre la peur et l'espoir - La Tribune.fr

A l'université du Medef, Dominique Moïsi participe à la table ronde du mercredi 27 août intitulée : "USA, still a giant ?" (Les Etats-Unis sont-ils encore un géant ?).

La Russie de Poutine pèsera-t-elle sur le choix des électeurs américains en 2008, comme l'Iran de Khomeiny avait pu le faire lors des élections présidentielles de 1980 ? Une défaite de Carter hier, une victoire de Mac Cain demain ? La comparaison est tentante, elle est aussi dangereuse; Obama n'est pas Carter et l'Amérique et le monde de 2008 ne sont pas ceux de 1980.

Obama n'est ni Carter, ni Gore, ni Kerry. Sous un discours qui évoque volontairement le style de Kennedy, il y a chez Obama - si l'on cherche des comparaisons - un mélange de Clinton et de Reagan, de charme et d'assurance. Il est devenu le candidat du Parti démocrate grâce à ses qualités exceptionnelles, il peut l'emporter demain sur Mac Cain, parce que contrairement à Carter, Gore et Kerry, mais comme Bill Clinton, il est déjà, en dépit de sa jeunesse et de sa relative inexpérience, un "tueur" en politique, prêt à encaisser les coups les plus durs et s'il le faut à les rendre au centuple.

Mais au-delà des hommes, il y a une double réalité profondément modifiée, celle de l'Amérique et celle du monde. L'Amérique des années 1980, au lendemain du traumatisme de la guerre du Vietnam, va retrouver sous l'impulsion de Reagan, mais plus encore grâce à l'implosion de l'URSS une centralité internationale et une confiance en elle-même unique qui feront d'elle, selon l'expression d'Hubert Védrine, "l'hyperpuissance" des années 1990 et du début des années 2000.

Aujourd'hui, au lendemain du 11 septembre 2001, des conflits qui s'aggrave en Afghanistan et qui ne se règle pas en Irak, et devant la crainte justifiée d'une véritable récession économique, l'Amérique est passée d'une culture d'espoir à une culture de peur. Elle ne peut rebondir sans dépasser sa peur, mais elle doit comprendre avant tout qu'il ne suffit pas d'évoquer une nouvelle Amérique, mais aussi un nouveau monde, où l'Amérique n'est plus seule.

En 2008, l'émergence de la Chine et de l'Inde, le retour sous l'impulsion d'un Poutine toujours au pouvoir d'une Russie animée par une ambition impériale de revanche sur l'humiliation, modifient la donne internationale et américaine. L'Amérique doit gérer la montée en puissance des "autres", au moment précisément où elle doute le plus d'elle-même et où elle évoque ouvertement les raisons de son déclin absolu ou relatif.

Si l'Union européenne a peur devant l'étalage de ses divisions et de son impuissance de devenir une "Magna Helvetia" une grande Suisse, l'Amérique a peur de connaître de manière accélérée le destin de l'Empire romain. L'évolution de leur corps, avec le nombre toujours plus grand d'obèses, l'approfondissement de l'endettement, le manque d'appétence des soldats américains pour des aventures extérieures sont autant de symboles de ce qui pourrait s'apparenter à un déclin.

Ce qui est certain, c'est que l'Amérique n'est plus seule à pouvoir et devoir gérer le monde, elle doit intégrer l'existence de l'"autre" et apprendre l'art du compromis.

Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Ifri (Institut français de relations internationales)

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