Le marché de la peur
(pour lire la suite de cet article )
par Marc-Alain Wolf
M.D., Ph.D., Psychiatre, Hôpital Douglas, membre de Tolerance.ca®
Le marché de la peur a de beaux jours devant lui. Il répond à un besoin psychologique pressant et persistant. Il permet de retenir et parfois de détourner l’attention des groupes. Il mobilise des intérêts considérables dans plusieurs secteurs de la vie publique. Il est, avec la mode et le sexe, un des moteurs de la vie économique. Il est souvent excessif et irrationnel mais il est à notre image, et il ne servirait à rien de le dénoncer en bloc. Pour certains politiciens « bien intentionnés », jouer sur la peur des gens peut aussi permettre de faire passer des lois contraignantes, impopulaires mais nécessaires au bien de la cité.
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Annoncée il y a dix huit mois, la crise financière de ces derniers mois ponctue une période d’incertitudes où l’anticipation du pire, la panique, le déni, la belle indifférence et la résignation se sont côtoyées et concurrencées. Les plus pessimistes annoncent l’écroulement prochain du système capitaliste, les plus optimistes évoquent des variations cycliques et normales. Les moralistes vantent les vertus éthiques de la correction des indices pendant que les cyniques restent à l’affût de bonnes opportunités d’achat ou de vente, de bons « coups boursiers ». Les individus ordinaires, eux, vivent dans une certaine expectative. Qu’en sera-t-il de leur emploi et de leur retraite? L’économie réelle dans laquelle ils baignent est maintenant touchée de plein fouet par la maladie de l’économie virtuelle.
Depuis quelques années une autre angoisse collective nous étreint, celle des changements climatiques. Malgré l’effet de mode et de mimétisme qui tend à homogénéiser les réactions individuelles et collectives, certaines voix discordantes tentent de tempérer les diagnostics-catastrophes, les promesses d’apocalypse, les appels à l’action immédiate et radicale. La planète terre est-elle vraiment en danger? Faut-il de toute urgence modifier nos habitudes de consommation, réduire nos trains de vie occidentaux, limiter la consommation d’énergie? Un consensus quasi religieux est en train de s’installer dans nos esprits. La croyance, la conviction sont là mais pas encore la pratique, la mise en acte de la profession de foi écologique. Le sentiment de culpabilité s’est répandu mais pas encore son antidote, l’action rédemptrice.
La politique internationale secrète à son tour les ingrédients d’une peur irrationnelle. Celle, par exemple, d’une guerre mondiale d’un nouveau type, le terrorisme. Déjà présente avant les attentats du 11 septembre, cette inquiétude a brusquement changé d’échelle avec l’effondrement des tours. Comparé à l’évènement réel, l’effet produit par sa mise en scène médiatique, sa diffusion planétaire quasi instantanée et sa répétition en boucle, a été considérablement amplifié. L’entrée en guerre des États-Unis et de leurs alliés n’est que la partie visible du bouleversement psychologique et social engendré par cet attentat. Un sentiment de menace et d’insécurité s’est propagé dans le monde. Certains y ont répondu par une réaction agressive de type paranoïaque, d’autres ont réagi en développant des attitudes plus dépressives de remise en question personnelle et d’autoaccusation.
Beaucoup plus ancienne, la peur des catastrophes naturelles, incluant celle de la sécheresse, de la famine et des épidémies, accompagne l’aventure humaine depuis ses origines. Cette peur parfaitement légitime a eu sur l’espèce un effet structurant. Elle est à l’origine des formes les plus primitives de croyances collectives et de cultes religieux. Les dieux ont d’abord été inventés comme puissances tutélaires qui, effrayantes ou rassurantes, punitives ou protectrices, rendent moins aléatoire et moins chaotique la vie sur terre. Imputables des malheurs qui nous guettent, ils jouent pour le sujet le rôle de super parents chargés de circonscrire l’angoisse, de l’extérioriser et de l’orienter vers une source possible d’apaisement.
L’angoisse et la peur, que le langage courant tend à confondre, sont des réalités et des notions psychologiques distinctes. Chez l’individu en tout cas, la peur est un produit possible de l’angoisse, une transformation, en général souhaitable, qui permet de fixer sur un objet extérieur l’inconfort psychique, le malaise et le mal-être qui caractérisent l’état d’angoisse. Mieux vaut une peur ciblée, identifiée et bien définie qu’une inquiétude vague et flottante, envahissant la conscience et paralysant l’action. La peur a, sur l’angoisse ou l’anxiété, l’avantage de nommer un responsable et de permettre une conduite d’adaptation, de conjuration ou d’évitement. Toute la panoplie des phobies humaines atteste de la fécondité de ce mécanisme de défense qui produit des peurs en série, toutes plus irrationnelles les unes que les autres, mais souvent moins couteuses, en terme d’énergie psychique, de souffrance morale et de désorganisation de la pensée, que l’anxiété brute et non maitrisable.
Les religions, des formes collectives de névrose obsessionnelle ?
Pour le psychanalyste Freud, ce n’est pas seulement la peur (ou la phobie) mais toutes les formes de névrose qui permettent d’échapper à l’angoisse.
(suite de l'article)
lundi 15 décembre 2008
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