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Mardi 6 Janvier 2009 | envoyer | commenter
Représentant de l'Institut G9+ et co-animateur Essec Business & Technologie et Centrale Marseille IT, Luc Bretones propose cette tribune dans laquelle il revient sur le développement des tribus sur le web...
Luc Bretones
En 1953, le chimiste américain Stanley Miller vérifiait expérimentalement l'hypothèse de création de la soupe originelle de la vie. Cinquante ans plus tard, Internet et ses services de communication ré-inventent les tribus, leurs lois et leurs chefs. Seth Godin, auteur du livre « Tribes, We need You to Lead Us» en a fait sa théorie. Selon lui, « le leardership est la meilleure tactique marketing et ce quelle que soit l'organisation ou l'individu (une entreprise, une école, une église, un chercheur d'emploi,..) ».
Les tribus se distinguent des simples groupes par la présence en leur sein d'un ou plusieurs leaders, d'une vision claire et d'un objectif commun. La notion de tribu, vue par Godin, correspond à un stade évolué de groupe ou de communauté.
Le leader génère l'initiative qui forme la tribu. Il exprime une stratégie sur laquelle chaque membre se projetera et agrégera à son tour de nouveaux membres. Si la vision du leader, sa passion, touchent les individus, ils souhaiteront faire partie de cette aventure, en parleront à leurs amis et une tribu robuste pourra naître. Ceci explique que le phénomène communautaire est souvent fortuit, fruit d'un projet ou d'une expression, mais pas nécessairement avec l'objectif initial de créer un mouvement.
Autres caractéristiques d'une communauté organisée et mature, les rites tribaux – comportements, langage, rituels – n'apparaissent qu'en présence d'un leader, celui qui initie, mais aussi celui qui décide en cas de besoin.
Un très bel exemple est celui initié par Muhammad Yunus, prix nobel de la paix 2006, et sa Grameen Bank qui soutient, à fin 2008, 7,64 millions d'emprunteurs pauvres dont 97% de femmes. Avec 2 536 branches, Grameen Bank propose ses services dans 83 415 villages, couvrant plus de 99% des villages du Bangladesh. Dans la même dynamique humanitaire de micro-crédit, j'ai récemment pu interviewer un représentant de Kiva. Fondée par Matt Flannery fin 2005, Kiva a soutenu 92 000 entrepreneurs du monde entier avec 338 000 prêteurs dans plus de 135 pays et un taux de remboursement de 98.5%.
Dans des styles totalement différents, citons la tribu des blogueurs de Sony, hébergée par la Player's Republic, ou celle des « ambassadeurs » web de la marque Thierry Mugler dont l'intégration fonctionne exclusivement par cooptation. La marque de luxe a été la première à ouvrir dès octobre 2007 un espace communautaire et de conversation avec ses clients.
On le voit, l'irruption des technologies de l'ubiquité communautaire fait apparaître des expressions tribales modernes. Internet amplifie et accélère la montée en puissance des mouvements communautaires. En effet, le leadership se démocratise à mesure que les services web permettent la diffusion et la mise en œuvre d'une idée. Les contraintes physiques et temporelles s'effacent largement. Par ailleurs, le leadership vertical classique, à la mode hiérarchique laisse progressivement place à des organisations plus horizontales.
Enfin, Les « digital natives » n'hésitent pas à donner leur avis parfois plusieurs fois par jour sur Internet et dans un nombre toujours croissant de cas, ils argumentent leurs choix. La « generation Y » participe, co-crée, plus qu'elle n'est « fan » d'un projet. L'interactivité est au cœur des lames de fond communautaires que décrivent Charlene Li et Josh Bernoff dans « Groundswell ». Ces interactions ouvertes à 360° permettent à chacun de transcender ses intérêts personnels en participant à un projet ambitieux, d'envergure. Un projet dont la résultante sera nécessairement supérieure à la somme des contributions individuelles prises séparément.
Les tribus se nourrissent des interconnexions qu'elles suscitent. Elles sont d'autant plus fortes que les connexions se densifient entre leurs membres et que les signaux faibles – informations émises par les liens les moins proches et donc les moins forts – se multiplient et finissent par provoquer une rencontre inédite (un recruteur et un candidat, un projet et un financement,..) pleine de valeur.
Mais alors, comment ces tendances socio-technologiques impactent-elles les entreprises ? Le choc des cultures tribales « analogique hiérarchique » et « numérique collaborative » sera-t-il créateur de valeur pour chaque tribu et celle qui les réunit ? Ceux que Louis Naugès appelle avec humour les « Digital Immigrant » – ont connu le courrier papier et le fax, sont devenus accros de l'email et il leur arrive même ... de les imprimer – pourront-ils établir un contact unifiant ?
En fait, les entreprises oscillent encore entre la théorie de Machiavel – être craint pour être respecté – très orientée « top-down » et ces nouveaux modes maillés et créatifs de travail par lequel l'organisation ouvre les connexions qui lui permettent de s'adapter et de progresser. Godin décrit une redéfinition du travail autour de missions plus que d'autorités hiérarchiques. Au-delà des modes de travail, la « tribu entreprise » peut également répondre à une recherche de sens social, de valeurs, d'adéquation culturelle.
Mais pour que le tribalisme intègre l'ADN d'une entreprise, l'initiative devra venir de la direction générale. Elle devra s'assurer que l'entreprise est focalisée toute entière sur sa mission et non sur les points de vue de certains individus au pouvoir. Un effet fort du mode tribal consiste ainsi en l'intégration de la perception client et de ses attentes à la communauté de l'entreprise. Les meilleurs clients, les ambassadeurs, peuvent alors développer un sentiment de participation à l'évolution de l'entreprise, de co-construction. Autre conséquence : un fonctionnement par projets et groupes de travail dédiés et décloisonnés.
Même si les tribus les plus fortes sont les plus focalisées, et que l'on n'imagine pas développer ce type d'approche pour la gestion d'un Etat, Barack Obama n'expliquait-il pas vouloir mener sa campagne comme « un mouvement avec des membres » plutôt que simplement « une campagne avec des clients » ?
Les grandes choses de demain se préparent dans les tribus qui naissent aujourd'hui. Margaret Mead, anthropologiste, spécialiste des tribus, le sait bien : « pas de doute sur le fait qu'un petit groupe de personnes réfléchies et impliquées puisse changer le monde. En fait, ce sont les seuls à l'avoir jamais fait ».
Luc Bretones, représentant Institut G9+ et co-animateur Essec Business & Technologie et Centrale Marseille IT
Pour aller plus loin
12/11 * « Des nouvelles technologies à un nouvel enjeu social ! », une tribune de Luc Bretones
vendredi 9 janvier 2009
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